André Piettre
Le 30 mai 2024
Exposé de Jean-Jacques Taisne
"André Piettre"
André Edmond Clément Piettre (1906-1994)
De l’Institution ND de Grâce de Cambrai à l’Institut de France
Seul ancien élève de Notre-Dame à avoir été élu membre de l’Institut, André Piettre a été nommé en 1981 membre d’honneur de la Société d’Emulation ; il y est aussi rattaché par sa famille, son oncle, Octave Piettre, et son cousin, Maurice Piettre, ayant été l’un et l’autre membres titulaires de la Société. |
André Edmond Clément Piettre est né le 3 mai 1906 à Caudry de d’Edmond Léon Augustin dit Léon Piettre (1878-1928) et Rosalie Angélique Vitu son épouse, domiciliés 21 rue de Saint Quentin. Son père Léon est le second fils d’Edmond Léon Marie Piettre (1831 -1898) et de Athenaïs Louison Sandras, son épouse. Il est fabricant de tulle et dentelle. André a une plus jeune sœur, Suzanne Marie Louise Claire (1909-1998).
Par tradition familiale, il fait sa scolarité à l’Institution Notre-Dame de Grâce de Cambrai où il entre comme pensionnaire en 3eme. Il indique n’avoir pas été le plus brillant de sa famille et avoir été un peu chahuteur, mais il se qualifie aussi travailleur plus que discipliné. En tout cas, ses résultats sont excellents. Il cumule prix et premiers prix et quelquefois un accessit. Il garde de ses professeurs le meilleur souvenir et sera fidèle à l’Institution et aux réunions d’anciens élèves, ainsi en 1936 où il parle au banquet après son ancien professeur de philosophie, l’abbé Cagniart. Il viendra en 1976 donner à Cambrai une conférence pour le centenaire de l’Institution (infra).
Ses études supérieures se font à Paris où il a de la famille qui l’entourera lors du décès prématuré de son père « très aimé » en 1928. Il est licencié ès-lettres, licencié puis docteur en science économique. Sa thèse, publiée en 1935 aux Editions Sirey, est soutenue à Paris le 14 décembre 1934 sur Économie dirigée et commerce international.
Au même moment il se marie à Strasbourg le 24 décembre 1934 avec Monique Duquesne (1907-1996), fille de Joseph Duquesne (1874-1951), né à Arras, agrégé de droit romain et d'histoire du droit (1909) qui enseigna à Grenoble, puis Strasbourg dont il devint doyen de la faculté de droit de 1925 à 1938 avant de passer à la Cour de Cassation de 1938 à 1948. Le couple aura 7 enfants : une fille et six garçons. Monique Duquesne qui maitrisait le grec et l’hébreu, écrira plusieurs ouvrages, notamment Au commencement était le mythe (1969) et La Condition féminine à travers les âges (1976), couronnés par l’Académie française.
Ayant rencontré Henri Guitton au sein d’une équipe d’agrégation où ils aident le candidat à trouver son plan, il se prépare à passer le même concours, notamment en enseignant à la faculté catholique et en passant des leçons en blanc devant un jury présidé par le Recteur de l’Institut catholique, Mgr Baudrillart qui, selon Guitton, ne paraissait pas prendre grand intérêt à la matière.
André Piettre se présente au concours de 1936. L’agrégation se compose d’une épreuve écrite anonyme, puis de quatre épreuves orales, en préparation libre de 24 heures, dites leçons, d’une durée de 45 minutes chacune. Le jury se compose de cinq juges, dont au moins 4 agrégés de la discipline et parmi eux le président. En 1936, le président est Jean Lescure, major du concours d'agrégation d'économie politique en 1910 et fondateur des congrès annuels des économistes francophones. Le concours a la réputation d’être difficile. Calculé sur les 18 premiers concours, le taux de réussite moyen s’établit autour de 20 %. En 1936, 30 candidats se présentent ; 5 seront agrégés, soit un reçu pour 6 candidats. André Piettre est reçu major. Il a 30 ans.
Il inaugure sa carrière universitaire à Strasbourg, ville de son épouse ; son beau-père y est doyen. En septembre 1939, la fac de Strasbourg déménage à Clermont – Ferrand. Mais, officier de réserve, il est mobilisé au même moment. Il est fait prisonnier en juin 1940. Détenu dans un " Offlag " à la citadelle de Mayence, il y donne des conférences et des cours de droit et de sciences économiques pour les officiers détenus. Rapatrié sanitaire à la fin de 1942, il reprend à Clermont-Ferrand ses enseignements de début 1943 à octobre 1945. Administrativement il est nommé professeur titulaire d’économie sociale et rurale à partir du 30/10/1941. Les cours reprennent en octobre 1945 à Strasbourg. Il est élu doyen de la faculté de droit à partir du 16 mars 1952. Alex Weill qui lui succèdera comme doyen et qui a été étudiant de son beau-père, dit que cette période est celle de l’hospitalité Piettre. En dépit de charges familiales croissantes, M. et Mme Piettre reçoivent dans leur appartement au bord du jardin du Contades, favorisant la création de liens solides entre anciens et nouveaux Strasbourgeois ou visiteurs du moment pour un colloque, un congrès ou une manifestation universitaire.
La même année que son élection au décanat, il préside le jury d’agrégation. Son rapport déplore une crise du recrutement : 7 candidats seulement seront reçus sur les 36 qui se présentent, mais alors que 12 postes étaient offerts. Il relève les faiblesses de certains candidats qui ne lisent même pas le sujet qui leur est proposé. Plusieurs réformes du concours lui paraissent indispensables : ainsi remplacer l’une des leçons en préparation libre de 24 heures par une leçon écourtée, préparée en loge pendant 7 heures ; supprimer l’obligation faite au jury de déclarer un nombre d’admissibles double de celui des postes offerts au concours ; ouvrir le jury à d’autres que les membres de la section économie de l’Institut, par exemple professeurs à science po ou à l’école polytechnique ; affecter un professeur à la préparation exclusive des agrégatifs.
En octobre 1953, il est nommé à la faculté de droit de Paris dans la première chaire d’économie politique. Il s’installe 82 avenue des Quatre-Chemins à Chatenay Malabry. Lors de l'éclatement de la faculté de droit et de sciences économiques après les événements de mai 1968, il choisit l'université de Paris II plutôt que celle de Paris I. IL y enseigne jusqu’à sa retraite en 1976 et devient professeur émérite.
Son œuvre scientifique est marquée par sa passion pour l'histoire de la pensée et des civilisations, mais aussi par la volonté de coller au réel. Plusieurs de ses ouvrages connaissent des rééditions, ainsi par exemples Les trois âges de l’économie (3 éditions) , Marx et marxisme (5 éditions) et surtout son Précis Dalloz Histoire de la pensée économique et analyse des théories contemporaines (8 éditions). Ses conférences sont multiples à l’Ecole polytechnique, à l’Alliance française, à l’École Supérieure de guerre, aux Semaines sociales … et ses articles nombreux dans les revues économiques ou à la revue des deux-mondes.
Il appartient à de nombreux cénacles scientifiques et préside sans discontinuer, de 1956 à 1980, le Congrès des économistes de langue française qui deviendra l’association internationale des économistes de langue française.
Penseur humaniste, engagé et profondément chrétien, il n’hésite pas à sortir de son champ scientifique, écrivant notamment en 1963 Lettres à la jeunesse et en 1969 La culture en question. Sens et non-sens d’une révolte, deux ouvrages aussitôt couronnés par l’Académie française. Il fonde en 1970 la revue Sursaut.
La même année, il est élu à l’Académie des sciences morales et politiques dans la section d’économie politique, statistique et finances, au fauteuil n° 2 qui fût celui de Talleyrand. Son épée lui est remise le 23 juin 1971 dans les locaux de l’université de Paris 2 où prennent successivement la parole Jean Boulouis, président de cette université, Georges Vedel, doyen honoraire de la faculté de droit de Paris, Alex Weill, doyen de la faculté de droit de Strasbourg, Mgr Léon-Arthur Elchinger, évêque de Strasbourg, Charles Flory, président d’honneur des Semaines sociales , Henri Guitton, président de l’association française de science économique et Jacques Rueff, chancelier de l’Institut. Dans sa réponse, André Piettre explique les choix faits pour la réalisation de cette épée, précisant en particulier : « j’ai voulu que sa poignée fut en forme de croix parce que depuis mon enfance la croix est plantée dans ma vie, dans mon âme comme dans mon corps. De cette option personnelle … rayonne une lumière, une intelligence, une ouverture de cœur, sans lesquelles il y aurait sans doute une économie politique, mais il n’y aurait certainement pas une économie humaine ». Trois blasons figurent au revers de l’épée, dont celui de Cambrai. On y trouve aussi les feuilles d’érable évoquant Caudry et le sceau d’un ancêtre du Cateau, premier échevin de cette ville.
Nulle surprise donc qu’il revienne à Cambrai en mai 1976 pour le Centenaire de son cher collège, le collège Notre-Dame de Grâce, donnant à la Médiathèque devant un nombreux public une conférence sur l’apport intellectuel, moral et esthétique du Christianisme à la Culture occidentale.
André Piettre décède le 21 février 1994 à Chatenay Malabry où il est inhumé. Lui avaient été décernés les insignes de commandeur de la Légion d’honneur, officier des Palmes académiques, officier des arts et des lettres et la croix du combattant.
Page mise à jour le 20/07/2024 à 17h18
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