Les moines irlandais et Cambrai
Exposé de Bernard Cuvillier
Le jeudi 25 mai 2023
Des moines irlandais dans notre histoire
Dans la période troublée des « grandes invasions », les moines irlandais ont été des érudits, des ascètes, des missionnaires zélés qui ont largement contribué à la rechristianisation de notre région et de l’Europe toute entière.
Lors de l’exposition des trésors de la médiathèque de Cambrai qui s’est tenue après l’inauguration du « Labo » du 23 juin au 30 novembre 2019, les visiteurs ont pu découvrir, parmi un ensemble exceptionnel de documents anciens, un manuscrit écrit sous la commande de l’évêque Albéric, qui fut évêque de Cambrai et Arras de 770 à790. Il contient une copie partielle (38 premiers livres sur 65) des « Canons d’Irlande », ensemble de décrets et décisions écclésiastiques résultant d’un concile qui s’était tenu en Irlande en 681. Il contient aussi le texte le plus ancien au monde rédigé en langue celtique, en fait en ancien irlandais. Il s’agit d’une homélie, c’est-à-dire le commentaire en direction d’un auditoire d’un texte de la Bible. Et la question est revenue plus d’une fois parmi les visiteurs : mais que faisaient à Cambrai ces moines , ou ces copistes , de langue irlandaise ?
C’est ce à quoi Bernard Cuvillier s’est efforcé de répondre
Pendant la période troublée des « grandes invasions » où l’Europe s’est largement déchristianisée, De nombreux Celtes chrétiens se sont réfugiés en Irlande et y ont apporté le christianisme. Une figure emblématique est Saint Patrick, qui aurait christianisé l’Irlande en 432 (?).
Entre le 8ème et le Xe siècle, le monastisme irlandais va se développer rapidement. La quasi-totalité des évêques irlandais se recrutent dans l’aristocratie clanique. Les nombreux monastères (Glendalough, Clonmacnois, Clonard, Kells…) deviendront des lieux de savoir qui attireront des érudits de toute l’Europe et même au-delà.
On y parle Latin, Grec, on y lit les classiques anciens, (Virgile, Horace…) . On apprend par coeur les psaumes que l’on récite quotidiennement dans des offices qui ponctuent la journée de travail et même la nuit, et surtout on y développe des règles monastiques très strictes, où la nourriture est frugale, le jeûne pratiqué le mercredi et le vendredi, le travail quotidien tant pour bâtir et cultiver la terre que pour recopier et enluminer les livres saints.
L’art de l’orfèvrerie, qui avait caractérisé la culture celte, va se traduire en pierre avec les grandes croix irlandaises qui vont être érigées dans chaque monastère, et va se traduire également dans les motifs caractéristiques de l’art celte qui orneront les enluminures des livres saints comme le livre de Kells ou le livre de Durrow. Ces motifs d’abord non figuratifs vont de plus en plus laisser place à l’art figuratif afin de faire connaître le message de la Bible et transmettre la doctrine chrétienne
Les Irlandais sont actifs dans la rechristianisation de l’Europe
Au milieu du 6° siècle, la culture celtique, qui avait été confinée dans la frange celtique de l’Europe, prend le chemin inverse d’une expansion vers la Grande Bretagne et l’Europe continentale. Les Irlandais installent un royaume dans l’Ouest de l’écosse, qui favorise l’implantation religieuse. Ainsi St Columba, ou Columcile, « colombe de l’Eglise », s’installe sur l’île d’Iona, en marge de l’Ecosse, avant d’entamer l’évangélisation des Pictes. Les Irlandais installent ensuite de nombreux monastères au Pays de Galle, en Cornouaille, puis en Gaule, en Allemagne, en Italie.
Les missionnaires voyageaient le plus souvent par groupes de 12 moines (référence bien sûr aux douze apôtres) . Ils voyageaient en compagnie de marchands, remontaient les rivières, et s’en remettaient à ceux qui détenaient des fiefs pour obtenir la permission d’établir des abbayes.
Dans leur entreprise d’évangélisation du monde celtique ils ont bénéficié du déclin du druidisme. La proposition d’une religion plus douce que celles qui avaient précédé, mais qui légitimait les pouvoirs en place avait de quoi satisfaire, et rapprocher , « relier », puisqu’il s’agit d’une religion, les aristocrates et le petit peuple. Une partie des bardes, convertie au christianisme, a contribué au succès de la christianisation.
Des frictions avec l’Église Romaine
Mais ce christianisme, érudit, emprunt d’influences orientales, est coupé de Rome, et les traditions et les dogmes divergent, ce qui sera une source de friction avec l’église Romaine. La date différente des Irlandais pour célébrer la fête Pascale, en particulier, fait débat. On reproche aussi aux Irlandais de faire un comptage de toutes les fautes possibles, avec un catalogue de sanctions assorties. Pour les tenants des évêques Romains la Miséricorde de Dieu se passe de cette comptabilité ! Il faudra plusieurs conciles, à Chalons en 650, à Whitby en Angleterre en 664, pour mettre tout le monde d’accord. Mais il est à noter que les moines irlandais se sont toujours soumis aux injonctions des prélats Romains, car ils reconnaissaient le pape comme le successeur véritable de Saint Pierre.
St Furzy (Péronne des Irlandais)
Fursy (567 – 648) est arrivé dans le nord de la Gaule en 639. Il fonda l’abbaye du Mont St Quentin.
Malade, Furzy va avoir plusieurs expériences mystiques dans lesquelles il s’échappe de son corps et pénètre dans la sphère céleste des anges et des démons. Le récit qu’il es fait, transmis par le biais de Bede le Vénérable,,est considéré comme étant la première narration complète d’une expérience de l’au-delà chrétien dans la littérature latine du Moyen-Âge. Elle introduit une imagerie des anges et des démons, et les concepts des limbes et du purgatoire.
Revenons au manuscrit exposé au LABO de Cambrai
Les Canons d’Irlande dont le manuscrit de Cambrai donne une copie partielle ont été une contribution majeure à l’édification du droit canon, et serviront de modèle à la règle de St Benoit.
C’est aussi une entreprise quasi tatillonne pour définir et réglementer tous les aspects de la vie chrétienne.
C’est en somme la forme la plus archaïque de ce qui a été dans notre jeunesse le catéchisme !
Pour résumer ce que l’on doit aux moines irlandais:
- insistance sur le culte des morts, de la prière pour les défunts…
- vision escatologique : les Limbes, le purgatoire, le ciel et l’enfer.
- Une contribution majeure pour établir des rêgles et des principes dans la pratique religieuse
- Une contribution majeure dans l’évolution de l’art médiéval (enluminures...)
- constitution d’« écoles », institutionalisées par Charlemagne
Comment s’est soldé l’âge d’or irlandais: par les incursions Viking.
Page mise à jour le 03/10/2023 à 16h32
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