Mis à jour le 11/12/24
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Cohabitation musclée (Ramillies)

Dans la paroisse de Ramillies, une des 28 cures ou paroisses territoriales ayant le chapitre de Saint-Géry comme collateur, arrive au printemps 1678, un nouveau curé nommé Jean François GHOS(S)E ou GHOSSÉE selon les différents actes.

Comme le veut la coutume dans certains villages du Cambrésis, le nouveau prêtre devient le parrain du premier baptisé après son arrivée, le baptisé prendra aussi le prénom du parrain.

Le nouveau né s’appellera donc : Jean François LESNE, fils d’Antoine LESNE et de Catherine BÉLIARD ; acte du 1er avril 1678.

Le 15 avril 1679, notre nouveau curé devient le parrain de Marie Philippine PANNIEZ, fille légitime de Philippe PANNIEZ, le clerc cléricant et de son épouse Anthoinette DAZIN.

Le clercq de ce lieu (comme le disent les registres paroissiaux) devient parrain de Jean Philippe DUPONT, important censier de Ramillies et de Marguerite LOY le 22 aout 1680.

En 1681, le curé et le clerc se retrouvent le 15 mai ensemble comme témoins aux mariages des deux frères BOULOIGNE (ou BOULOGNE) François et Pierre avec les deux sœurs COURTILLEUX Marie Marguerite et Jeanne Françoise.

Les premières années de GHOSE à la tête de la vie paroissiale de Ramillies semblent normales…

La suite verra une cohabitation difficile puis musclée entre Jean GHOSE, le curé et son clerc Philippe PAGNIEZ.

L'été pourri de 1684 donne de mauvaises récoltes, l'hiver suivant est rude, les prix montent, les réserves de grains se vident, la misère et la disette s’installent et le village de Ramillies est envahi par de nombreux rongeurs.

Notre curé vit mal tous ces problèmes et ne comprend pas pourquoi tous ces malheurs frappent ces paroissiens.

Alors, devant toute la communauté paroissiale, le curé en colère, se tournant vers la Sainte Hostie, l’honorable saint sacrement étant exposé, profère à Dieu ces paroles : « DIEU VOUS N’EST POINT JUSTE ! SI VOUS M’ENVOYER DE RATS ET DES SOURITS POUR MANGER LEURS GRAINS », parlant du peuple dudit Ramillies.

Philippe PAGNIEZ, le clerc cléricant est choqué de cette manière peu orthodoxe de défendre ses paroissiens et lui dit sans ménagement.

Le lundi de pentecôte de la même année, le jour de la longue procession le curé dit à

Pierre SORLIN fils d'Eloy et de Marie PECCOURT jeune homme à marier de 21 ans « aousteur de son stil » qui portait la croix, qu’il la tenait trop basse et que « c'était son clerc qui lui avait commandé cela pour faire inrager son maître », ce qu'ayant entendu ledit PAGNIEZ fit response avec respect au dit curé (c'est PAGNIEZ qui parle) disant « monsieur le pasteur je n'ay point parlé au garçon » nonobstant quoy le dit sieur curé dit en ces termes tant en colère : « IL N'AT FAIT DU FOUTRE ». Pas besoin de traduire en langage actuel.

Lors de cette même procession « étant arrivé dans les villages de Cuvillers et Eswars, après avoir visité les églises des dits lieux et les sieurs curés, at quitté la procession avec sa servante et furent absents longue espace de temps scavoir à Cuvillers l'espace de trois quarts d'heures ou environs laissant la. procession dans les rues dont plusieurs personnes du dit Ramillies ont esté obligées de retourner dans leur village et dans Eswars l'espace d'une heurt dont le peuple at commandé au clerc de marcher sans le dit curé comme ils firent que le dit sieur curé at accouru avec la dite servante et joint la dite procession dans les chemins ».

Le curé empêche le clerc de chanter l'office divin dans l'église le jour de la fête de Notre-Dame (peut-être avait-il de bonnes raisons ce curé musicien ?). Il réclame pour cela un ordre de monseigneur l'archevêque de Cambray. Néanmoins le clerc se présente le dimanche suivant et lui demande de chanter, le pasteur referme tous les livres de l'église avec éclat.

Ainsi il n'y eu plus de « grande messe » seulement de « basses messes » y compris le jour de Notre-Dame.

Le 25 juin Pasquet DUPONT présente l'asperge au sieur curé après la messe avec révérence, « Iceluy jetta l'asperge par terre et a tant battu le dit DUPONT dans l'église que tout le monde en estait confus ».

Le 29 juin, jour du Saint-Sacrement le nommé Simon DUPONT ayant servi le dit curé à la grand messe après l'élévation du calice « Iceluy sieur curé se tournant en colère vers le dit DUPONT pendant que Philippe PAGNIEZ encenssait, donna cinq ou six coups de pied dans le costé dudit DUPONT en telle sorte qu'il l'at renvoyé deux fois par terre, dont tout le monde en a murmuré ».

La coutume voulait qu'à la fin de la messe du dimanche le pasteur bénissait les pains des fidèles ; Eh bien ! Notre curé fait dorénavant la grève de la bénédiction des pains le dimanche et cela depuis « environ demy an ».

3 juillet 1686

« Jeanne CANFIN veufve d'Hubert DRUITTE, ménager, demeurant à Ramilly,en présence d'André VITOU maréchal, le troisième de juillet 1686 aurait été. quérir le dit curé pour venir confesser et administrer le nommé Jean DRUITTE fils du dit Hubert gisant au lit, malade et en péril de mort, dans la maison de la dite Jeanne CANFIN, lequel curé refusa d’y venir disant qu’il ne cognaissait point ce dit DRUITTE, nonobstant le curé vint quelques temps chez la dite déposante,… estant arrivé le dit curé demanda au dit Druitte âgé de dix huit ans, en ces termes-: « te veux tu confesser ? » à quoy le malade dit qu'il souhaitait ainsi et le dit curé répliqua « qu'il était une beste et qu'il ne confessait point les bestes » demandant à la dite jeanne si sa belle mère avait de l'argent et fit réponse qu'ouy et sitôt le dit curé fit compter l'argent dudit malade qiï il a fait retirer hors de ses poches et l'argent compté l'at fait; remettre dans les dites poches et abandonna le dit malade qui mourut une heure après ou environs sans administration d' aucun sacrement ni confession ».

Marie POTIEZ âgée de 66 ans, veufve de Nicolas POTIN savetier demeurant àCambrai de passage à Ramillies, affirma que Jean DRUITTE le fils d'Hubert « estait fort malade en péril de mort » ; « le curé de ramilly n' avait pas voulu ni administrer ni confesser car il n' avait pas esté à la confesse à lui ceux, Pasques, à quoi il répliqua qu'il s'était présenté mais que le curé lui avait serré et fermé la grille de son siège confessionnal et l'en ayant derechef demandé s'il avait esté à Cambray à la confesse, at dit à la déposante que oui et que avait esté aux jésuites dont il avait un billet dans sa poche qu'il avait présenté au dit curé, iceluy ne voulait confesser ni administrer beste comme luy ».

Le garçon décédé, les parents et les témoins se rendent au presbytère, attendent jusqu'au soir le retour d'Eswars du curé mais celui ci refuse obstinément de sonner les cloches Un non confessé n'a pas le droit aux cloches.

Notre inexcusable curé montre donc dans les circonstances graves de l'extrême onction, son profond courroux envers les habitants du village mais entend aussi montrer spectaculairement son désintéressement vis à vis de l'argent.

Le 11 août 1687, jour de St Géry, patron de la paroisse, toute la communauté est assemblée au cimetière en vue d'aller en procession aux vêpres comme c'est la coutume ; l’attente sera de quatre heures dit l'acte pendant lesquelles on a « longtemps murmuré » Les paroissiens se rendent à l’église, le clerc met son surplis prêt à chanter...

Que fait notre curé ? Lisons l'acte « le dit curé se divertissait avec les violons dans sa, maison avec sa servante et les deux mayeurs de l’église, scavoir Jean Lemaire et Jacques Moreau »… « La communauté, estant impatient d'attendre après avoir murmuré longtemps, ont sonné le dernier coup à vespres, le dit Pagniez clercq ayant mis son surplie a attendu encore longtemps… ».

GHOSSEE arrive néanmoins à l'église... continuons la lecture de l'acte : « le dit curé, après avoir mis son amitte et son obe s'étant retourné demanda si il n'y avait point ici de clerc, à quoi le dit PAGNIEZ fit réponse que sy ; iceluy pasteur le traite incontinent d'ivrogne, crevé, fripon et homicide et luy donna un, soufflet au pied de l’autel en présence de tout le monde dont il a eu grand scandal et murmuré ».

Les informations faites pardevant Jean François DAUTY doyen de l'officialité de Cambrai et commissaire député ne laissent rien au hasard sur les circonstances des injures et du soufflet :

André VITOU le maréchal de son stil de 35 ans « l'at bien vu »

Le dit PAGNIEZ « l'at bien senti »

Adrien LESNE aousteur de son Stil de 40 ans (moissonneur qui travaille en août) « ayant bien ouy le coup donné »

Jean MOREAU carlier (ouvrier qui fabrique les carreaux de terre cuite, de pierre ou de brique) de 43 ans assura que : « le dit curé avait bu au grand scandal des assistants »

Toutes ces accusations sont portées à l'officialité par une lettre de Jean MICHEL promotteur de l'archevêque et par le dit PAGNIEZ qui « offre son serment supplétif pour tous les articles ci devant en cas de besoin toute la Communauté dudit Ramilly et aultres sil nécessaire ».

Seront donc « ouys et diligemment examinés les mayeurs et eschevins dudit lieu comme tesmoins qu’entend produire Philippe PAGNIEZ, clerc cléricant au village de Ramilly en cambraisis, pour servir et valoir au différent intenté par devant messeigneurs au vicariat de l’archevêché de Cambray allencontre de monsieur Jean GHOSSEE pasteur dudit village ».

Ainsi, Jean VALET le mayeur, les échevins Jean Mathieu LESNE, Pierre de BOULOGNE, Antoine MILLIOT, Jacques MOREAUX, Jean DELECROIX, mais aussi André VITOUT, François BOULOGNE, Adrien LESNE et Jean MOREAU anciens échevins c'est à dire des notabilités du village sachant lire (belles signatures) : les censiers, fermiers, le sergent du lieu et un journalier de 60 ans ayant réussi socialement (François BOULOGNE) seront les témoins à charge.

Le 18 aout 1687 plainte de Philippe Pagniez auprès de l’official de l’archevêché de Cambray le sieur DAUTY doyen commissaire désigné par monseigneur l’archevêque pour porter le témoignage ce jour vers 5 heures de l’après midi en la maison de Jean LEROY cabaretier à Ramillies du prêtre Jean Ghosse père pasteur dudit Ramilly accusé d’avoir encore par lui commis allencontre luy a déclaré quil sera payé de son salaire.

Mais qui donc était ce clercq cléricant ?

Philippe PAGNIE(Z) était le notaire (ou nottaire avec deux T comme on l'écrivait à l’époque) de Ramillies

Aux AD59 série 2E 26 28 PAGNIEZ, restent une soixantaine d’actes notariés : ventes, successions, baux, contrats anténuptiaux et testaments de 1681 à 1692. Remarquons que ces actes sont biens détaillés par exemple les animaux (vaches, moutons, canailles), les outils, les meubles et même tous les ustensiles de cuisine.

Constatons que l'on ne trouve aucune trace dans ces actes notariés du curé GHOSSÉE alors que l'on y voit d'autres curés tel Philippe FRESSON curé de St Nicolas à St Quentin et surtout à partir de 1688 Pierre François WIMY le curé successeur qui sera souvent témoin et signataire des actes (par exemple dans le testament de Laurence LEMERE veufve de François BOULOGNE journalier lisons « dire une messe par semaine durant un an pour neuf patars ; six patarons seront pour la messe d'enterrement, le servis solennel et le servis de six semaines,un pataron pour le sonneur, un demi pataron pour les porteurs, lequel argent des funérails sera pris en la maison de Jean Baptiste DUPONT, lequel argent s'il n'est pas suffisant sera pris sur mes meubles à Noëlle BOULOIGNE ma belle fille etc etc...

Il apparait que PAGNIEZ est plus instruit et cultivé que le curé. Ce clerc cléricant, aussi notaire n'admet pas être dominé par ce curé à l'écriture hésitante et d'une formation pastorale insuffisante (les autorités ecclésiastiques elles même conscientes du problème, venaient d'améliorer la formation sacerdotale, lire à ce sujet la deuxième partie de la thèse de troisième cycle de DEREGNAUCOURT).

Plus de trace ensuite du curé Jean François GHOSSEE, il n'y a pas de jugement dans l'acte AD59 5G 514... Mais il est remplacé par deux prêtres frères les DE WIMY qui assureront à la fois les fonctions de curé et de clerc.

Philippe PAGNIE(Z) ne sera donc plus clerc de la paroisse, uniquement notaire à Ramillies (Les actes aux archives départementales vont jusque fin 1692).

Pierre François (de) WIMY, le curé successeur signera pendant une douzaine d'années pasteur et maneglier, c'est à dire qu'il cumulera les fonctions de curé et de clercq.

Cette petite histoire de cohabitation musclée est là pour nous montrer que même dans les églises, endroits des plus calmes, une certaine violence ne surprenait pas. DEREGNAUCOURT cite en autres HENNECART, curé de Naves, qui mécontent du comportement de son paroissien Alain BARBIER au cours de l'office, lui arrache la perruque et la projette au travers de la nef. (AD59 3G 521_1728).

Didier Frémicourt

Page mise à jour le 12/10/2023 à 15h52

 

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